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ataraxosphere
9 février 2009

Européennes : l’enjeu agricole - Marc Dufumier à la BNF

Je reviens d’une conférence tenue à la BNF par l’éminent agronome Marc Dufumier, disciple de René Dumont et membre du Comité de veille écologique de la fondation Nicolas Hulot, sur le thème “quelles agricultures pour un développement durable?” (le pluriel est délibéré).

Après avoir brièvement rappelé les principaux défis auxquels doit faire face l’agriculture du XXIème siècle pour nourrir la population mondiale (changement climatique et augmentation du prix du pétrole, avec toutes les implications directes et indirectes ; j’y ajouterai la perte des sols arables) et les problèmes posés par l’agriculture productiviste “standard” (dégâts considérables, sanitaires et environnementaux mais aussi socio-économiques), il a présenté des solutions immédiatement applicables pour parvenir à nourrir le monde de manière saine et respectueuse de l’environnement. Car les obstacles ne sont pas techniques (même si d’importants progrès restent attendus) mais avant tout politiques : il s’agit notamment de la volonté de mieux répartir les subventions et les richesses, ainsi que de réguler le commerce international, entre autres.

Quelques idées en vrac pendant que c’est encore frais (je parle d’Europe à la fin) :

- il n’y a pas une mais DES agricultures, compte tenu de la diversité des écosystèmes et des sociétés humaines

- il est parfaitement possible de nourrir 9 milliards d’humains en 2050 avec des productions saines et respectueuses de l’environnement : la faim dans le monde est d’abord une question de pauvreté et de ressources consacrées à production de viande et d’agrocarburants au lieu d’être affectées à l’alimentation humaine

- il est toutefois nécessaire pour cela de réduire la consommation de viande, tant d’un point de vue sanitaire qu’environnemental (coûts énergétique et en ressources considérables de la production de viande)

- il faut revenir sur les pratiques agricoles productivistes “modernes” (spécialisation, monoculture, mécanisation excessive, usage d’intrants - engrais et pesticides -, grande échelle, etc) qui mènent droit dans le mur et ne pourront perdurer, afin de leur substituer des pratiques compatibles avec le développement durable et donc la capacité des générations futures à assurer leurs propres besoins, en cherchant à s’inspirer de techniques culturales traditionnelles qui ont fait leurs preuves (évaluation au cas par cas) et des acquis modernes de l’agro-écologie ou éco-agronomie (car les systèmes agricoles ne sont jamais naturels et sont dans tous les cas des écosystèmes artificialisés)

- la diversification des cultures est une des clefs du succès, par exemple en réalisant des rotations avec des Légumineuses (famille du soja, de la luzerne, de l’acacia, etc) pour la fertilisation azotée, en assurant la coexistence de diverses espèces et variétés sur des mêmes terrains pour une exploitation maximale des rayons solaires, un protection améliorée des sols et une résistance accrue à d’éventuels ravageurs, parasites ou pathogènes ; également en ayant recours à des espèces et variétés adaptées à chaque situation locale (paramètres environnementaux particuliers)

- il est intéressant de coupler l’élevage animal et la culture végétale : les résidus de plantes sont utiles aux bêtes (alimentation, litière) et les déjections de ces dernières fertilisent le sol (azote, humus) pour la croissance des premières ; pour cela il ne manque souvent aux populations pauvres qu’un faible investissement en matériel pour transporter les matières évoquées

- on peut ainsi procéder à une exploitation intensive des ressources naturelles (énergie lumineuse, azote de l’air, etc) et arriver à une exploitation parcimonieuse des ressources fossiles (utilisées pour l’énergie et pour la synthèse d’engrais et de pesticides)

- les agrocarburants et les OGM ne sont ni une nécessité, ni même vraiment souhaitables

- il est impératif de relocaliser la production (autre clef du succès), de revenir à des circuits courts, à la fois au sein de l’exploitation (couplage élevage / culture) et des territoires régionaux (avec une plus grande proximité entre le producteur et le consommateur), comme de la planète entière (autosuffisance des pays)

- les productions occidentales excédentaires (dont l’exportation est catastrophique pour les pays du Sud) doivent être remplacées par d’autres cultures, comme par exemple des Légumineuses, à visée locale

- les négociations au sein de l’OMC doivent être complètement revues (relocalisation des productions, possibilité de droits de douane pour les pays du Sud car la compétitivité est impossible entre les agricultures vivrières non mécanisées et les productions occidentales de masse), comme au sein de l’UE avec une réorientation de la PAC vers une production locale, diversifiée et de qualité (subventions à la reconversion, à la labellisation qualitative et géographique, à la restauration collective - notamment scolaire - s’approvisionnant dans ces marchés pour leur permettre d’atteindre une taille critique - réduisant notamment les coûts logistiques qui sont actuellement un frein - et offrir ainsi aux consommateurs une alimentation saine, y compris pour les plus modestes)

- l’une des autres clefs du succès consiste en une rémunération plus juste - donc plus élevée - des producteurs (c’est un sujet que je traiterai en détail une autre fois), ce qui a pour conséquences supplémentaires bienvenues de favoriser l’emploi et de limiter les mouvements migratoires (rarement choisis) des campagnes vers les bidonvilles au sein des pays du Sud, mais aussi des pays du Sud vers les pays du Nord

Pour ces élections européennes, répondre à l’enjeu agricole résout donc également une partie des enjeux liés à l’immigration (en plus des questions environnementales, sanitaires et socio-économiques plus évidentes).

La salle a demandé a plusieurs reprises si ces idées étaient entendues. Marc Dufumier a répondu que :
- concernant les professionnels du milieu, il y a encore beaucoup de travail, que ce soit au niveau de l’enseignement et des formations (encore bien trop imprégnés du productivisme et de conceptions pseudo-modernistes dont on constate les effets désastreux) ou au niveau des syndicalistes (il a bien moins d’audience à la FNSEA qu’à la Confédération Paysanne...), ce qui n’est pas compatible avec l’urgence des enjeux ;
- concernant le personnel politique, il y a également beaucoup de travail, même si Nicolas Hulot et le Grenelle de l’Environnement en 2007 ont permis des avancées non négligeables...

J’ai eu le plaisir de constater que les Verts n’étaient pas les seuls à être cités comme pouvant porter des idées allant dans le bon sens : le MoDem a été évoqué, à travers le seul exemple de Corinne Lepage il est vrai... ce qui montre que nos listes ont potentiellement une crédibilité, qu’il restera cependant à asseoir en portant des propositions fortes et fondées sur ce sujet crucial pour lequel les citoyens ont des attentes et dont on a vu les nombreuses implications. C’est d’ailleurs un sujet hautement symbolique, car la PAC est la seul politique réellement commune au sein de l’UE (qui engage d'ailleurs des budgets considérables) et il convient donc qu’elle soit réorientée dans un sens exemplaire réellement utile plutôt que de continuer à être instrumentalisée par les seuls intérêts des lobbies. Il en va de la crédibilité de l’Europe elle-même auprès de la population.

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Commentaires
F
http://www.dailymotion.com/video/x9bruv_dufumier_news
F
30 minutes ici : <br /> <br /> http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/savanturiers/index.php?id=75389
V
merci pour tout ça, je relirais à tête reposée
F
et là : <br /> <br /> http://www.monde-diplomatique.fr/2006/04/DUFUMIER/13338<br /> <br /> http://www.mediapart.fr/journal/international/140708/dix-solutions-a-la-crise-alimentaire-qui-bouscule-la-planete
F
On trouvera des idées de Marc Dufumier ici : <br /> <br /> http://www.fondation-nicolas-hulot.org/actualite/edito.php?id=68
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