Grenelle de l'Environnement : fin de la première phase (V)
Ce soir, juste une brève mise au point sur les
agrocarburants (dénomination préférable à celle de biocarburants comme
l'explique Corinne Lepage).
Le recours à des carburants issus de cultures agricoles
dédiées (éthanol produit à partir du sucre, diester produit à partir des huiles
végétales, etc) peut sembler intéressant dans la mesure où le CO2 produit par
leur combustion contient du carbone qui est déjà dans le cycle donc
"neutre" (à la différence des carburants issus de la matière
organique fossile comme le pétrole, dont la combustion remet du carbone en
circulation et accroît inévitablement l'effet de serre et les perturbations
climatiques).
Cependant, la situation est loin d'être aussi idyllique.
Sur le bilan carbone & énergie : il en faut une certaine
quantité pour produire ces agrocarburants, ce qui ampute le bilan et abaisse le
rendement. Sachant qu'en plus les cultures en question ont actuellement
massivement lieu sur des sols tropicaux issus de la déforestation (Indonésie,
Brésil, République "Démocratique" du Congo, etc), le bilan est
carrément négatif puisque la destruction des forêts a libéré le carbone contenu
dans les arbres (généralement brûlés)... et je ne parle même pas de la perturbation
du fonctionnement des sols. (Par contre je ne saurais dire si, au niveau de la
fixation de CO2 par la photosynthèse, l'effet du remplacement des arbres par
les plantes cultivées est négatif ou pas, il faudrait des chiffres sérieux car
il y a beaucoup d'idées reçues sur ce sujet).
Sur la biodiversité : la déforestation que je viens
d'évoquer a des conséquences catastrophiques que l'on imagine aisément et que
je ne détaillerai pas. Je rappellerai simplement que l'effet est négatif aussi
en Europe : les terrains en jachères qui sont à nouveau cultivés servaient de
refuge à une partie de la faune et de la flore... Et sans même parler des
"services écologiques" que l'on perd en détruisant tous ces
écosystèmes.
Sur les pollutions : ces plantes sont généralement cultivées
suivant le modèle productiviste affreusement gourmand en intrants (engrais,
pesticides, etc) à l'origine de pollutions diverses (qui nous nuisent autant
qu'aux autres êtres vivants, d'ailleurs). Ne parlons même pas des OGM avec tous
les problèmes que l'on sait.
Sur le plan socio-économique : les surfaces et les
productions ne sont plus utilisées pour nourrir les populations mais pour
produire du carburant et on arrive à des situations aberrantes ! Les surfaces
disponibles étant limitées (même en déforestant), cela engendre une concurrence
entre filière "aliments" et filière "agrocarburants", et au
final un renchérissement de l'alimentation qui aggrave encore la situation des
populations qui ont déjà du mal à se nourrir et fragilise celles qui y
parvenaient tout juste (on a vu ce qui s'est passé au Mexique récemment).
Et de toute façon, au vu des consommations actuelles, si on
voulait passer intégralement en agrocarburants, pour couvrir les besoins il
faudrait couvrir la planète de champs destinés à les produire, ce qui est
irréaliste ! (Et il n'est même pas sûr que cela suffirait...)
Comme je l'écrivais dans un autre article, la priorité est
donc aux alternatives (transports en commun, fret, etc) et à la réduction des
besoins (organisation, etc).
Pour autant, doit-on clore définitivement le sujet ? Pas sûr.
- A petite échelle, des agrocarburants issus des huiles
végétales pourraient être utilisés sur place par les producteurs d'oléagineux
et constituer une approche tolérable.
- Plus généralement, la production des carburants à partir
de la biomasse peut être intéressante, si certaines conditions sont respectées,
notamment l'absence de pressions accrues sur l'environnement. Ceci pourrait
être compatible avec la valorisation des déchets de l'agriculture et de la sylviculture (biomasse qui
ne serait pas produite "exprès"). Il faut donc un effort de recherche
vers la fabrication d'agrocarburants de deuxième génération, valorisant la
biomasse ligno-cellulosique (chaumes de blé et de maïs, etc). Cela pourrait
d'ailleurs être une alternative à la méthanisation, qui n'est pas toujours très
propre (dans les dispositifs courants on se soucie du carbone, mais quid de
l'azote et du phosphore par exemple ?!). Précisons tout de même que cette approche
viendrait enrichir le bouquet des solutions disponibles, mais ne saurait en
aucun cas constituer l'unique voie.