La science produit-elle des dogmes ?
1) Pour les
non-spécialistes : OUI !
Ne chipotons pas sur la diversité des
disciplines scientifiques (il n’est pas très approprié de dire « la »
science) ou sur les notions d’axiome ou de paradigme (*), le fait est qu’une
personne qui n’est pas spécialiste du domaine concerné (qu’elle soit docteur
dans un autre domaine ne change rien à l’affaire) n’est pas fondée à remettre
en cause les résultats de l’activité scientifique en dehors des procédures
usuelles (cf. plus loin). Elle n’a en effet ni le bagage culturel, ni
les outils conceptuels et méthodologiques pour le faire ; au contraire du
spécialiste, qui n’est pas nécessairement un génie mais qui est censé connaître
son domaine et en particulier ce qui s’est déjà dit ou fait sur le sujet.
Il convient néanmoins de nuancer et
compléter un peu cette assertion brut(al)e…
Tout d’abord, elle ne concerne que les
sciences stricto sensu (qui n’est pas affaire d’opinions et où la controverse
obéit à des règles bien précises, cf. plus loin) ; en sont
notamment exclues les disciplines telles que l’économie ou la sociologie (qui n’en
conservent pas moins une dimension de sérieux ou d’intérêt, mais c’est autre
chose).
Ensuite, elle ne signifie pas que le profane
doive recevoir et accepter sans broncher tout ce qu’on lui raconte : s’il
ne peut pas statuer sur le fond, il peut examiner la forme, et notamment s’assurer
que les conditions de production des éléments considérés respectent bien les
règles de probité et d’objectivité, notamment par l’indépendance et la
représentativité (avec débat contradictoire) ; en sont potentiellement
exclues certaines conclusions rendues par des institutions pourtant constituées
de scientifiques (par exemple, au sujet des OGM…).
Enfin (et c’est un vaste sujet sur lequel je
reviendrai une autre fois), elle ne signifie pas que le citoyen ne doive pas
être associé in fine au processus de décision lorsque des choix sont
impliqués, directement ou à travers ses représentants élus (par exemple via des
procédures rigoureuses d’information comme lors des « conférences de
citoyens » - telle celle qui fut organisée au sujet des OGM en France en
1998 - ou d’autres encore, ainsi que le prônent des associations comme la
Fondation Sciences Citoyennes ou les conclusions du Grenelle de l’Environnement) ;
en sont donc exclus les phantasmes de « dictature des experts », car
le spécialiste, s’il éclaire le choix politique et démocratique par son
diagnostic et son ou plutôt ses pronostics, n’est aucunement prescripteur et la
décision finale (arbitrant souvent entre plusieurs choix) appartient toujours à
la société ou à ses représentants élus (y compris le choix de l’irresponsabilité,
ce dont on ne s’est d’ailleurs pas privé comme le montre inlassablement l’Histoire…
mais ne nous égarons pas).
Sans forcément faire preuve d’autant de
virulence qu’un Jean-Marc Jancovici, on ne peut qu’être excédé par les remises
en causes des résultats scientifiques par des lobbies, groupes ou personnalités
divers et leur abondante et aberrante médiatisation (sous couvert de liberté d’expression
alors qu’il s’agit au mieux d’incompétence et au pire de mensonge délibéré) ;
et quand bien même il serait parfois démontré que les résultats incriminés
étaient erronés, cela traduirait avant tout des failles dans la pratique
humaine (par exemple l’absence d’indépendance financière ou de controverse
scientifique) et non dans la fiabilité des procédures elles-mêmes (qui sont -quasiment-
inattaquables formellement).
2) Pour les spécialistes :
NON !
Evidemment que la (vraie) science ne
fonctionne pas sur un modèle autoritaire excluant tout débat. C’est même tout
le contraire : l’une des principales caractéristiques (et étonnamment, une
condition et une grande force) du savoir scientifique, c’est sa réfutabilité.
Sans détailler ni compliquer (*), disons qu’aussitôt publiée, une nouvelle
idée, découverte ou proposition d’explication est soumise à une batterie de
tests, critiques et autres examens rigoureux… et offensifs. Sa validation (ou
plutôt sa corroboration) ne sera effective qu’à la condition d’avoir passé (avec
succès) toutes les épreuves, être compatible avec tous les éléments connus et
en rendre compte efficacement – ainsi que d’autres critères (dimension
prédictive, etc) qu’il serait fastidieux de développer ici.
Un savoir scientifique admet parfaitement la
contestation, pour peu que celle-ci obéisse à des règles et se soumette aux
mêmes processus d’examen : il n’est pas question d’affirmer tout et son
contraire sans fondement pour le simple plaisir de polémiquer, il faut s’accorder
avec les connaissances existantes et accepter l’analyse critique…
La science progresse notamment en apprenant
de ses erreurs (provisoires) et le savoir disponible à un moment donné ne sera
plus forcément valable dans le futur (même si souvent, on le considèrera alors
plus comme une approximation que comme une réelle erreur) : rien n’est
définitivement acquis, mais l’état des connaissances dans un contexte donné
constitue LA référence en usage (ne serait-ce que pour des raisons pratiques…)
et c’est avant tout aux spécialistes qu’il appartient de la faire évoluer…
(*) Les plus pressés se contenteront de lire
Popper et Kuhn ; les plus curieux remonteront à Bacon, Spinoza, Descartes
et Pascal et poursuivront par Wittgenstein, Putnam, Russell, Bachelard et d’autres
encore…