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ataraxosphere
27 avril 2009

Décroissance vs développement durable : une querelle sémantique - et stérile

Je voudrais dire quelques mots sur ces notions car je suis effaré de l'inconscience de la population, et de la blogosphère en particulier, à leur sujet. Je ne parle pas de méconnaissance ou d'incompétence car je ne suis pas moi-même spécialiste et j'ai rédigé ce billet vite fait sans consulter d'ouvrage ni de texte officiel (je le ferai plus tard, il faut d'abord que j'aille à la librairie).

J'aimerais aussi que les lecteurs apprennent la nuance dans leurs réflexions comme dans leurs propos : on peut faire appel au même vocabulaire voire aux mêmes concepts, avec des motivations et des réponses très différentes. Ainsi du recours au principe de précaution ou à la notion de décroissance : il n'y a pas que des écolos d'extrême gauche anti-progrès et anti-capitalistes, merci de ne pas l'oublier... Ils les ont instrumentalisées mais ces idées sont également développées par des gens sérieux dans une tout autre optique et c'est un peu ce que je voudrais aborder ici.

Partons du principe qu'on accepte l'idée de développement durable. Comme je l'ai brièvement expliqué, il ne s'agit ni plus ni moins que d'adopter des pratiques responsables, intégrant, outre les paramètres économiques, les données sociales et environnementales (retour au réel et à la base du fonctionnement de la société : par exemple il y a toujours des ressources naturelles quelque part en bout de chaîne). D'ailleurs certaines s'imposeront qu'on le veuille ou non : ainsi par exemple de l'épuisement du pétrole. Ces quelques éléments conduisent automatiquement à une réduction des impacts des activités humaines sur l'environnement, ce qui passe (entre autres et inéluctablement) par une diminution de certaines productions et consommations. Ce sont de simples faits ; ceux qui refusent d'admettre cette évidence n'argumentent pas, ils braient. Ils auront beau se cacher derrière leurs oeillères ou trépigner, la réalité s'imposera à eux. L'économie du futur (très proche) sera sobre ou ne sera pas.

On trouve donc là un certain nombre de décroissances. Elles ne signifient pas pour autant que tout doive décroître, en particulier elles ne sont pas du tout incompatibles avec un maintien et même une amélioration continue du confort, de l'éducation ou de la sécurité sanitaire par exemple (sobriété n'implique pas forcément restriction ; ne serait-ce que parce qu'un gisement énorme d'économies réside tout simplement dans les gaspillages qui ont cours actuellement). Il ne s'agit pas de faire plus ou moins, mais mieux. Ces décroissances s'inscrivent en fait dans le développement durable, lequel comprend à la fois une référence à la croissance en tant qu'amélioration de la richesse et des conditions de vie ET une référence à la décroissance des impacts à travers celle de certaines productions et consommations. Les partisans extrémistes de la décroissance ont donc tort de rejeter le développement durable au prétexte qu'il conserverait des éléments économiques en augmentation ; de même les zélateurs de la croissance verte ont-ils tort de vouer la décroissance aux gémonies puisqu'elle est en fait indissociable d'une activité économique éco-compatible. La querelle est non seulement sémantique, elle est aussi stérile puisque ces deux notions se nourrissent l'une de l'autre et ne sont que deux facettes d'une même réalité. Je ne sais sur quel pied danser lorsque je constate la pirouette à laquelle Corinne Lepage est obligée d'avoir recours : elle parle d'évolution soutenable (le terme d'évolution n'indiquant pas le sens du changement et englobant donc des augmentions comme des diminutions), ce qui a l'avantage de ne pas crisper les gens et de coller plutôt bien à la réalité, mais l'inconvénient d'introduire un vocabulaire qu'il faudra à nouveau expliquer et populariser (le développement durable commence seulement à être intégré, malgré le problème du greenwashing), sans compter que cela reste un peu une coquetterie de langage.

Mais au-delà, la vraie question se situe ailleurs. Car de quoi parle-t-on au juste ? La fameuse croissance mesure l'augmentation de la production de richesses (à travers les biens et services qui constituent l'activité économique ; faisons pour cette fois abstraction des aberrations financières et monétaires des dernières décennies). Vous avez bien lu : même sans montages boursiers délirants, on parle bien là d'augmentation... de l'augmentation (les nouvelles richesses). En d'autres termes, non pas l'augmentation de la fonction, mais de sa dérivée. Les comparaisons dans le temps (croissances pour deux mois successifs par exemple) induisent même une étude de la dérivée seconde. C'est tout simplement inepte (à ce titre la récession n'est pas un problème : ça ne veut pas dire qu'on a détruit de la richesse mais qu'on en a produit un peu moins que l'année précédente... la belle affaire ! ce n'est pas la fin du monde...). On pourrait aller loin de cette manière, en empilant les taux... c'est vraiment n'importe quoi. Revenons donc au monde réel. Même là, on constate l'aberration du système : cette croissance repose au moins en partie et à la base, sur des données physiques, consommation de ressources naturelles e tutti quanti. N'importe qui de sensé comprend que ces activités ne peuvent croître de manière exponentielle indéfiniment. Arrive forcément un moment où on a épuisé la ressource, soit que le stock fût fini au départ (eg pétrole ou uranium), soit qu'il fût renouvelable mais à un rythme insuffisant pour compenser les prélèvements (eg poisson ou bois). Nous vivons dans un monde fini, avec des limites : le toujours plus est donc impossible. Mais l'aberration ne s'arrête pas là ! Toute activité générant des bénéfices est comptabilisée comme positive dans la croissance : de ce point de vue la pollution est bénéfique puisqu'elle offre un travail à des entreprises spécialisées dans la dépollution (parfois les mêmes aux deux bouts de la chaîne... hum). Je n'insisterai pas sur les aspects sociaux qui sont connus par ailleurs (pression pour la diminution du coût du travail conduisant à des conditions proches de l'esclavagisme, etc). On ne dispose donc pas des informations nécessaires à un état des lieux rationnel et sain.

Le véritable enjeu de tout ce pataquès, c'est celui des indicateurs utilisés. C'est gentil de disserter sur des chiffres en augmentation ou en diminution, mais que signifient-ils concrètement, à quoi font-ils référence dans la réalité ? C'est une réflexion qui n'est pas nouvelle (Corinne Lepage parle depuis longtemps d'un PIB vert) mais qui tarde malheureusement à entrer dans les pratiques. D'ailleurs j'aimerais bien savoir où en est la mission Stiglitz-Sen commandée par Sarkozy il y a plus d'un an... En gros, il s'agit de ne plus compter uniquement les gains économico-financiers mais d'intégrer tous les éléments du système : outre le capital financier, il y a aussi le capital humain et le capital naturel. Cela revient (on me pardonnera les -graves- approximations de vocabulaire, je confonds toujours bilan et compte de résultat) à effectuer un bilan complet pour calculer le bénéfice net réel, au lieu de ne compter que l'actif comme c'est le cas actuellement (trop facile hein!). Car ces chiffres de la croissance ne prennent en compte qu'une partie de la réalité ! Ajoutez-y les facteurs humains et les dégradations environnementales, et vous obtenez une décroissance - vertigineuse, bien pire que celle des extrémistes écolos tant décriés.

Un indicateur satisfaisant devra donc intégrer à la fois les données financières (bénéfices générés par l'activité économique), sociales (conditions de travail, niveau d'éducation et de santé, etc) et environnementales (consommation des ressources, dégradations et pollutions des milieux naturels, etc). LA, il sera peut-être pertinent de parler de croissance ou de décroissance - ou encore d'équilibre... Etant entendu que ce paramètre global ne suffira pas à lui seul et qu'il faudra malgré tout suivre chaque élément (certains paramètres environnementaux ne pourront pas croître indéfiniment même s'ils étaient "compensés" par d'autres dans le calcul ; il n'est pas question de diminuer certains paramètres humains pour équilibrer la balance ; etc). Evidemment ces notions ont pour corollaire une profonde réflexion sur le fonctionnement des sociétés humaines, notamment en termes de mode de vie et de rapports avec le reste de la planète... Il faut vraiment que j'acquière le nouveau livre de Corinne Lepage, "Vivre autrement" !

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Commentaires
F
- vous en rêviez, JMJ l'a fait ^^<br /> <br /> http://www.manicore.com/documentation/serre/decroissance.html<br /> <br /> - l'initiative nopib<br /> <br /> http://nopib.fr/
F
un entretien amusant<br /> <br /> http://www.marianne2.fr/Le-programme-d-Europe-ecologie-est-moins-ambitieux-que-celui-de-Dumont-en-1974-!_a181857.html
F
sur le PIB : <br /> <br /> http://www.marianne2.fr/Le-marche-Un-tigre-de-papier_a180900.html
M
Très beau billet Florent.<br /> Coucou Francoise, pas faux, mais je partage la vision de Thierry.<br /> Je crois me souvenir d'un débat chez l' hérétique, il y a longtemps, ou la notion d'adaptation avait été abordée.
F
Coucou Thierry !<br /> Ce n'est pas à Florent que tu devrais t'adresser mais à Corinne Lepage elle-même... ;-)<br /> Personnellement j'ai écouté l'intervention de Corinne sur France Inter où elle explique son choix des termes "évolution soutenable" et je les trouve adaptés. On comprends bien que soutenable correspond à la possibilité de chacun, de la situation du moment. que cela permet de tenir compte de toutes les données, d'où une régression prudente si besoin ou une avancée profitable. Cela rejoint tout à fait le "principe de précaution" non ?
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